samedi, 14 mars 2020
NICOLAS BOILEAU : A mon jardinier, Epître
Antoine, de nous deux, tu crois donc, je le voi,
Que le plus occupé dans ce jardin, c'est toi.
Oh ! que tu changerais d'avis et de langage,
Si, deux jours seulement, libre du jardinage,
Tout à coup devenu poète et bel esprit,
Tu t'allais engager à polir un écrit
Qui dît, sans s'avilir, les plus petites choses,
Fît des plus secs chardons des œillets et des roses,
Et sût même aux discours de la rusticité
Donner de l'élégance et de la dignité...
... Bientôt, de ce travail devenu sec et pâle,
Et le teint plus jauni que de vingt ans de hâle,
Tu dirais, reprenant ta pelle et ton râteau :
"J'aime mieux mettre encor cent arpents au niveau,
Que d'aller follement, égaré dans les nues,
Me lasser à chercher des visions cornues,
Et, pour lier des mots si mal s'entr'accordants,
Prendre dans ce jardin la lune avec les dents. »
Approche donc, et viens; qu'un paresseux t'apprenne,
Antoine, ce que c'est que fatigue et que peine.
L'homme ici-bas, toujours inquiet et gêné,
Est, dans le repos même, au travail condamné.
La fatigue l'y suit. C'est en vain qu'aux poètes
Les neuf trompeuses Sœurs, dans leurs douces retraites,
Promettent du repos sous leurs ombrages frais :
Dans ces tranquilles bois, pour eux plantés exprès,
La cadence aussitôt, la rime, la césure,
La riche expression, la nombreuse mesure,
Sorcières, dont l'amour sait d'abord les charmer,
De fatigues sans fin viennent les consumer.
Sans cesse, poursuivant ces fugitives fées,
On voit sous les lauriers haleter les Orphées.
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samedi, 11 janvier 2020
POEME DE FRANCOIS 1ER (1494 - 1547)
Les belles amourettes
Où êtes-vous allées mes belles amourettes ?
Changerez-vous de lieu tous les jours ?
A qui dirai-je mon tourment,
Mon tourment et ma peine ?
Rien ne répond à ma voix,
Les arbres sont secrets, muets et sourds
Où êtes -vous allées, mes belles amourettes ?
Changerez-vous de lieu tous les jours ?
Ah ! puisque le ciel le veut ainsi
Que mon mal je regrette,
Je m’en irai dedans les bois
Conter mes amoureux discours,
Où êtes-vous allées , mes belles amourettes ?
Changerez-vous de lieu tous les jours ?
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samedi, 23 novembre 2019
IDEES (Raymond QUENEAU)
Les oiseaux bleus dans l'air sont verts dans la prairie
Qui les entend les voit qui les voit les entend
Leur aile déployée élargit leur patrie
Mais à travers leur plume un feu toujours s'étend.
Caméléons du ciel agiles que l'œil transperce nuages qui vivants assument tour à tour la forme d'une idée et puis l'idée adverse protéens dont l'azur ne limite aucun tour.
Ils volent à travers la sublime excellence des principes divins scellés sur l'horizon les étoiles parfois dénotent leur présence et les jeux de la lune au cours d'une saison.
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samedi, 05 octobre 2019
LA CIGALE (Paul-Jean TOULET)
Quand nous fûmes hors des chemins
Où la poussière est rose,
Aline, qui riait sans cause
En me touchant les mains ; -
L’Écho du bois riait. La terre
Sonna creux au talon.
Aline se tut : le vallon
Etait plein de mystère…
Mais toi, sans lymphe ni sommeil,
Cigale en haut posée,
Tu jetais, ivre de rosée,
Ton cri triste et vermeil.
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jeudi, 19 septembre 2019
LES AMIS INCONNUS (Jules Supervielle)
Il vous naît un poisson qui se met à tourner
Tout de suite au plus noir d'une lame profonde,
Il vous naît une étoile au-dessus de la tête,
Elle voudrait chanter mais ne peut faire mieux
Que ses sœurs de la nuit, les étoiles muettes.
Il vous naît un oiseau dans la force de l'âge
En plein vol, et cachant votre histoire en son cœur
Puisqu'il n'a que son cri d'oiseau pour la montrer,
Il vole sur les bois, se choisit une branche
Et s'y pose ; on dirait qu'elle est comme les autres.
Où courent-ils ainsi ces lièvres, ces belettes,
Il n'est pas de chasseur encore dans la contrée
Et quelle peur les hante et les fait se hâter,
L'écureuil qui devient feuille et bois dans sa fuite,
La biche et le chevreuil soudain déconcertés ?
Il vous naît un ami et voilà qu'il vous cherche,
Il ne connaîtra pas votre nom ni vos yeux,
Mais il faudra qu'il soit touché comme les autres
Et loge dans son cœur d'étranges battements
Qui lui viennent des jours qu'il n'aura pas vécus.
Et vous que faites-vous, ô visage troublé,
Par ces brusques passants, ces bêtes, ces oiseaux,
Vous qui vous demandez, vous, toujours sans nouvelles :
Si je croise jamais un des amis lointains
Au mal que je lui fis, vais-je le reconnaître ?
Pardon pour vous, pardon pour eux, pour le silence
Et les mots inconsidérés,
Pour les phrases venant de lèvres inconnues
Qui vous touchent de loin comme balles perdues,
Et pardon pour les fronts qui semblent oublieux.
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vendredi, 06 septembre 2019
Raymond QUENEAU : PAUVRE TYPE
Toto a un nez de chèvre et un pied de porc
Il porte des chaussettes
En bois d'allumette
Et se peigne les cheveux
Avec un coupe-papier qui a fait long feu
S'il s'habille les murs deviennent gris
S'il se lève le lit explose
S'il se lave l'eau s'ébroue
Il a toujours dans sa poche
Un vide-poche
Pauvre type.
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lundi, 26 août 2019
VIRELAI : SUIS-JE, SUIS-JE, SUIS-JE BELLE ? (Eustache DESCHAMPS 1346-1406)
Suis-je, suis-je, suis-je belle ?
Il me semble, à mon avis,
Que j'ai beau front et visage doux
Et les lèvres rouges ;
Dites-moi si je suis belle.
J'ai les yeux vifs, les sourcils fins,
Les cheveux blonds, le nez régulier,
Rond le menton et blanche la gorge ;
Suis-je, suis-je, suis-je belle ?
J'ai la poitrine ferme et fière,
Longs les bras, les doigts fins,
Et la taille fine aussi ;
Dites-moi si je suis belle.
J'ai une jolie courbe des reins,
Le dos cambré, et le fessier avantageux,
Cuisses et jambes bien faites ;
Suis-je, suis-je, suis-je belle ?
J'ai les pieds mignons et petits,
Faciles à chausser, avec de beaux habits,
Je suis gaie et insouciante ;
Dites-moi si je suis belle.
J'ai des manteaux fourrés de gris,
J'ai des chapeaux, de belles tenues
Et plusieurs broches d'argent ;
Suis-je, suis-je, suis-je belle ?
J'ai des draps de soie et tabis,
J'ai des draps d'or ou blancs ou bruns,
J'ai mainte bonne chose ;
Dites-moi si je suis belle.
Je n’ai que quinze ans, je vous le dis ;
Mon trésor est vraiment joli,
Je le garderai sous clé ;
Suis-je, suis-je, suis-je belle ?
Il devra être hardi
Celui qui sera mon ami,
Qui aura une telle jeune fille ;
Dites-moi si je suis belle.
Et par Dieu je lui promets
Que je lui serai très fidèle,
Toute ma vie si je peux ;
Suis-je, suis-je, suis-je belle ?
S’il est courtois et généreux,
Vaillant, habile et bien éduqué,
Il me gagnera à sa cause ;
Dites-moi si je suis belle.
C'est le paradis sur terre
Que d'avoir pour toujours une dame,
Aussi fraîche, et aussi jeune ;
Suis-je, suis-je, suis-je belle ?
Ne soyez pas peureux,
Pensez à ce que j’ai dit ;
Ici finit ma chansonnette ;
Suis-je, suis-je, suis-je belle ?
https://www.moyenagepassion.com/index.php/moyen-age/musiq...
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dimanche, 11 août 2019
LEO FERRE : METANEC
Ces oiseaux que tu portes en toi depuis septembre
Cette pâleur jalouse où tu mets tes pensées
Ce ventre qui te prend comme un enfant de cendre
Ces souvenirs gâchés qui t'ont pris tes années
Regarde cette église au bout de l'habitude
Regarde ce dessin de Rembrandt dans la nuit
Regarde cette femme en allée vers le Sud
Regarde ce printemps et son sourire appris
Ces parfums qui t'assaillent et qui te désapprennent
Ces routes perforées dans ton programmateur
Ce silence ordonné dans ton coeur qui se traîne
Cette mort de l'oubli comme venue d'ailleurs
Ecoute l'horizon dans les bras d'une femme
Ecoute la seconde éternelle qui tue
Ecoute la lueur qui regarde ton âme
Ecoute l'analyse et prends-toi par la rue
Ces chiens partis ailleurs dans ton enfance double
Cet horizon doublé par tes pensées de chien
Ce hasard muselé dans ta télévitrouble
Ce linge larmoyant où sèchent tes chagrins
Goûte cette Raison qui se prend pour ta tête
Goûte dans la Folie ta tête de Raison
Goûte cette chanson qui s'en va dans la fête
Goûte le flot rendu sur la plage des cons.....
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mardi, 09 juillet 2019
Victor HUGO ( A André CHENIER - Les Contemplations)
Oui, mon vers croit pouvoir, sans se mésallier,
Prendre à la prose un peu de son air familier.
André, c’est vrai, je ris quelquefois sur la lyre.
Voici pourquoi. Tout jeune encor, tâchant de lire
Dans le livre effrayant des forêts et des eaux,
J’habitais un parc sombre où jasaient des oiseaux,
Où des pleurs souriaient dans l’œil bleu des pervenches ;
Un jour que je songeais seul au milieu des branches,
Un bouvreuil qui faisait le feuilleton du bois
M’a dit : — Il faut marcher à terre quelquefois.
La nature est un peu moqueuse autour des hommes ;
Ô poëte, tes chants, ou ce qu’ainsi tu nommes,
Lui ressembleraient mieux si tu les dégonflais.
Les bois ont des soupirs, mais ils ont des sifflets.
L’azur luit, quand parfois la gaîté le déchire ;
L’Olympe reste grand en éclatant de rire ;
Ne crois pas que l’esprit du poëte descend
Lorsque entre deux grands vers un mot passe en dansant.
Ce n’est pas un pleureur que le vent en démence ;
Le flot profond n’est pas un chanteur de romance ;
Et la nature, au fond des siècles et des nuits,
Accouplant Rabelais à Dante plein d’ennuis,
Et l’Ugolin sinistre au Grandgousier difforme,
Près de l’immense deuil montre le rire énorme.
-
- Les Roches, juillet 1830.
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mercredi, 26 juin 2019
LA SALLE A MANGER (Francis JAMMES 1868-1938)
Il y a une armoire à peine luisante
qui a entendu les voix de mes grand-tantes
qui a entendu la voix de mon grand-père,
qui a entendu la voix de mon père.
À ces souvenirs l’armoire est fidèle.
On a tort de croire qu’elle ne sait que se taire,
car je cause avec elle.
Il y a aussi un coucou en bois.
Je ne sais pourquoi il n’a plus de voix.
Je ne peux pas le lui demander.
Peut-être bien qu’elle est cassée,
la voix qui était dans son ressort,
tout bonnement comme celle des morts.
Il y a aussi un vieux buffet
qui sent la cire, la confiture,
la viande, le pain et les poires mûres.
C’est un serviteur fidèle qui sait
qu’il ne doit rien nous voler.
Il est venu chez moi bien des hommes et des femmes
qui n’ont pas cru à ces petites âmes.
Et je souris que l’on me pense seul vivant
quand un visiteur me dit en entrant :
- comment allez-vous, monsieur Jammes ?
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