mardi, 09 décembre 2025
L'ISOLEMENT (poème d'Alphonse de Lamartine)
Souvent sur la montagne, à l'ombre du vieux chêne,
Au coucher du soleil, tristement je m'assieds ;
Je promène au hasard mes regards sur la plaine,
Dont le tableau changeant se déroule à mes pieds.
Ici gronde le fleuve aux vagues écumantes ;
Il serpente, et s'enfonce en un lointain obscur ;
Là le lac immobile étend ses eaux dormantes
Où l'étoile du soir se lève dans l'azur.
Au sommet de ces monts couronnés de bois sombres,
Le crépuscule encor jette un dernier rayon ;
Et le char vaporeux de la reine des ombres
Monte, et blanchit déjà les bords de l'horizon.
Cependant, s'élançant de la flèche gothique,
Un son religieux se répand dans les airs :
Le voyageur s'arrête, et la cloche rustique
Aux derniers bruits du jour mêle de saints concerts.
Mais à ces doux tableaux mon âme indifférente
N'éprouve devant eux ni charme ni transports ;
Je contemple la terre ainsi qu'une ombre errante
Le soleil des vivants n'échauffe plus les morts.
De colline en colline en vain portant ma vue,
Du sud à l'aquilon, de l'aurore au couchant,
Je parcours tous les points de l'immense étendue,
Et je dis : " Nulle part le bonheur ne m'attend. "
Que me font ces vallons, ces palais, ces chaumières,
Vains objets dont pour moi le charme est envolé ?
Fleuves, rochers, forêts, solitudes si chères,
Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé !
Que le tour du soleil ou commence ou s'achève,
D'un oeil indifférent je le suis dans son cours ;
En un ciel sombre ou pur qu'il se couche ou se lève,
Qu'importe le soleil ? je n'attends rien des jours.
Quand je pourrais le suivre en sa vaste carrière,
Mes yeux verraient partout le vide et les déserts :
Je ne désire rien de tout ce qu'il éclaire ;
Je ne demande rien à l'immense univers.
Mais peut-être au-delà des bornes de sa sphère,
Lieux où le vrai soleil éclaire d'autres cieux,
Si je pouvais laisser ma dépouille à la terre,
Ce que j'ai tant rêvé paraîtrait à mes yeux !
Là, je m'enivrerais à la source où j'aspire ;
Là, je retrouverais et l'espoir et l'amour,
Et ce bien idéal que toute âme désire,
Et qui n'a pas de nom au terrestre séjour !
Que ne puis-je, porté sur le char de l'Aurore,
Vague objet de mes voeux, m'élancer jusqu'à toi !
Sur la terre d'exil pourquoi resté-je encore ?
Il n'est rien de commun entre la terre et moi.
Quand là feuille des bois tombe dans la prairie,
Le vent du soir s'élève et l'arrache aux vallons ;
Et moi, je suis semblable à la feuille flétrie :
Emportez-moi comme elle, orageux aquilons !

10:23 Publié dans poésie | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : poésie, poème, poète, culture, lamartine
samedi, 22 novembre 2025
IL PLEUT (poème de Francis Carco - 1886 . 1958)
Il pleut À Éliane.
Il pleut — c’est merveilleux. Je t’aime.
Nous resterons à la maison :
Rien ne nous plaît plus que nous-mêmes
Par ce temps d’arrière-saison.
Il pleut. Les taxis vont et viennent.
On voit rouler les autobus
Et les remorqueurs sur la Seine
Font un bruit... qu’on ne s’entend plus !
C’est merveilleux : il pleut. J’écoute
La pluie dont le crépitement
Heurte la vitre goutte à goutte...
Et tu me souris tendrement.
Je t’aime. Oh ! ce bruit d’eau qui pleure,
Qui sanglote comme un adieu.
Tu vas me quitter tout à l’heure :
On dirait qu’il pleut dans tes yeux.
1939
https://fr.wikipedia.org/wiki/Francis_Carco

20:38 Publié dans poésie | Lien permanent | Commentaires (17) | Tags : poésie, poème, poète, écriture, culture, francis carco, pluie
vendredi, 14 novembre 2025
VOYELLES (Arthur RIMBAUD)
Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891)
Recueil : Poésies (1870-1871).
Sonnet.
A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes :
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,
Golfes d'ombre ; E, candeurs des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles ;
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;
U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides
Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux ;
O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges ;
- O l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux !

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mercredi, 29 octobre 2025
L'HIVER (poème de Victor Hugo)
L’autre mois pourtant, je dois dire
Que nous ne fûmes point reçus ;
L’église avait cessé de rire ;
Un brouillard sombre était dessus ;
Plus d’oiseaux, plus de scarabées ;
Et par des bourbiers, noirs fossés,
Par toutes les feuilles tombées,
Par tous les rameaux hérissés,
Par l’eau qui détrempait l’argile,
Nous trouvâmes barricadé
Ce temple qu’eût aimé Virgile
Et que n’eût point haï Vadé.
On était au premier novembre.
Un hibou, comme nous passions,
Nous cria du fond de sa chambre :
Fermé pour réparations.

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mercredi, 15 octobre 2025
SCHEVENINGUE, MORTE SAISON (Valéry Larbaud - 1881 - 1957)
Dans le clair petit bar aux meubles bien cirés,
Nous avons longuement bu des boissons anglaises ;
C’était intime et chaud sous les rideaux tirés.
Dehors le vent de mer faisait trembler les chaises.
On eût dit un fumoir de navire ou de train :
J’avais le cœur serré comme quand on voyage ;
J’étais tout attendri, j’étais doux et lointain ;
J’étais comme un enfant plein d’angoisse et très sage.
Cependant, tout était si calme autour de nous !
Des gens, près du comptoir, faisaient des confidences.
Oh, comme on est petit, comme on est à genoux,
Certains soirs, vous sentant si près, ô flots immenses !
https://fr.wikipedia.org/wiki/Valery_Larbaud

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jeudi, 04 septembre 2025
TRAVERSEE (poème de Marcel Thiry - 1897-1977)
Et les femmes sont si belles
Et leurs noms ensoleillés
Sur la mer font brasiller
Des promesses si nouvelles
Et le navire est si blanc
Et les femmes sont si belles
Qui doucement s'échevellent
Aux tièdes vents émouvants
Et la contrée irréelle
Nous attend si tendre au bout
De ce long voyage si doux
Parmi les femmes si belles
Et la houle est une tant
Bleue et blanche balancelle,
Et les femmes sont si belles
Sous le ciel tant nonchalant.
Recueil L'ENFANT PRODIGUE
https://fr.wikipedia.org/wiki/Marcel_Thiry

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lundi, 11 août 2025
LE QUART D'HEURE DE BON TEMPS (texte trouvé dans un Almanach de 1861)
L'homme, dont la vie entière
Est de quatre-vingt-quinze ans,
Dort le tiers de sa carrière,
C'est juste trente-deux ans.
Ajoutons, pour maladie,
Procès, voyages, accidents,
Au moins un quart de la vie,
C'est encore deux fois douze ans
Par jour, deux heures d'études
Ou de travaux, font huit ans
Noirs chagrins, inquiétudes,
Pour le double, font seize
Pour affaire qu'on projette,
Demi-heure, encore deux ans,
Cinq quarts d'heure de toilette,
Barbe, et cætera , cinq ans
Par jour, pour manger et boire,
Deux heures font bien huit ans
Cela porte le mémoire
Jusqu'à quatre-vingt-quinze ans
Hélas ! comment trouver sur terre
Un quart d'heure de bon temps ?...
jeudi, 03 juillet 2025
CHALEUR (poème de Charles-Ferdinand Ramuz)
L’ombre du tilleul tourne dans la cour.
La fontaine fait un bruit de tambour.
Un oiseau s’envole du poirier ; le mur
brûle ; sur le toit brun et rouge,
La fumée d’un feu de bois bouge
contre le ciel tellement bleu qu’il est obscur.
On n’entend pas un bruit dans les champs ;
personne n’est en vue sur la route ;
seules dans les poulaillers, les poules
gloussent encore, de temps en temps.
Puis plus rien qu’un arbre qui penche,
dans l’opacité de ses branches,
avec son ombre, de côté,
comme sous un poids qui l’accable ;
et cet autre se laisse aller
en avant, comme un dormeur
qui a les coudes sur la table.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Ferdinand_Ramuz

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vendredi, 16 mai 2025
POEME DE Paul-Jean TOULET (1867-1920) : TROIS CHATES DE PROVENCE
Trois châtes de Provence
Qui s'en allaient d'un pas qui danse
Le soleil dans les yeux.
Une enseigne, au bord de la route,
- Azur et jaune d'oeuf, -
Annonçait : Vin de Châteauneuf,
Tonnelles, Casse-croûte.
Et, tandis que les suit trois fois
Leur ombre violette,
Noir pastou, sous la gloriette,
Toi, tu t'en fous : tu bois...
C'était trois châtes de Provence,
Des oliviers poudreux,
Et le mistral brûlant aux yeux
Dans un azur immense.

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vendredi, 09 mai 2025
LE PARESSEUX (poème de Marc Antoine Girard, Sieur de Saint Amant - 1594-1661)

Accablé de paresse et de mélancolie,
Je rêve dans un lit où je suis fagoté,
Comme un lièvre sans os qui dort dans un pâté,
Ou comme un Don Quichotte en sa morne folie.
Là, sans me soucier des guerres d'Italie,
Du comte Palatin, ni de sa royauté,
Je consacre un bel hymne à cette oisiveté
Où mon âme en langueur est comme ensevelie.
Je trouve ce plaisir si doux et si charmant,
Que je crois que les biens me viendront en dormant,
Puisque je vois déjà s'en enfler ma bedaine,
Et hais tant le travail, que, les yeux entrouverts,
Une main hors des draps, cher Baudoin, à peine
Ai-je pu me résoudre à t'écrire ces vers.


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