vendredi, 31 octobre 2008
SUR LE BORD D'UNE FONTAINE (Rémy BELLEAU - 1528 - 1577 Les Pierres précieuses)
C'était une belle brune
Filant au clair de lune,
Qui laissa choir son fuseau
Sur le bord d'une fontaine,
Mais courant après la laine
Plongea la tête dans l'eau
Et se noya la pauvrette
Car à sa voix trop faiblette
Nul son désastre sentit,
Puis assez loin ses compagnes
Parmi les vertes campagnes
Gardaient leur troupeau petit.
Ah ! trop cruelle aventure !
Ah ! mort trop fière et trop dure !
Et trop cruel le flambeau
Sacré pour son hyménée,
Qui l'attendant, l'a menée
Au lieu du lit, au tombeau.
Et vous, nymphes fontainières
Trop ingrates et trop fières,
Qui ne vintes au secours
De cette jeune bergère,
Qui faisait la ménagère
Noya le fil de ses jours.
Mais en souvenance bonne
De la bergère mignonne,
Emus de pitié, les dieux
En ces pierres blanchissantes
De larmes toujours coulantes
Changent l'émail de ses yeux.
Non plus yeux, mais deux fontaines,
Dont la source et dont les veines
Sourdent du profond du coeur ;
Non plus coeur, mais une roche
Qui lamente le reproche
D'Amour et de sa rigueur.
Pierre toujours larmoyante,
A petits flots ondoyante,
Sûr témoins de ses douleurs ;
Comme le marbre de Sipyle
Qui se fond et se distille
Goutte à goutte en chaudes pleurs.
Ô chose trop admirable,
Chose vraiment non croyable,
Voir rouler dessus les bords
Une eau vive qui ruisselle
Et qui de course éternelle
Va baignant ce petit corps !
Et pour le cours de cette onde
La pierre n'est moins féconde
Ni moins grosse, et vieillissant
Sa pesanteur ne s'altère :
Ains toujours demeure entière
Comme elle était en naissant.
Mais est-ce que de nature
Pour sa rare contexture
Elle attire l'air voisin,
Ou dans soi qu'elle recèle
Cette humeur qu'elle amoncelle
Pour en faire un magasin ?
Elle est de rondeur parfaite
D'une couleur blanche et nette
Agréable et belle à voir,
Pleine d'humeur qui ballotte
Au dedans, ainsi que flotte
La gloire en l'oeuf au mouvoir
Va, pleureuse, et te souvienne
Du sang de la plaie mienne
Qui coule et coule sans fin,
Et des plaintes épandues
Que je pousse dans les nues
Pour adoucir mon destin.
10:40 Publié dans poésie | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : poésie, poèmes, écriture, littérature, livres, culture
Commentaires
Ses deux yeux sont devenus des fontaines et son coeur une roche.
Je me demande s'il n'y a pas une faute d'orthographe à :
"Ains toujours demeure entière"...
Écrit par : elisabeth | vendredi, 31 octobre 2008
Heureux temps où on parlait de la mort d'un manière si "gracieuse" De nos jours on a plutôt tendance à l'enfermer dans un placard. Amitiès.
Écrit par : ariaga | samedi, 01 novembre 2008
Bonsoir Elisabeth,
Moi je n'aurai pas mis de "s", si "ain" dans le texte est l'étoile membre de l'amas ouvert des Hyades, idem pour la rivière.
Amitiés
Écrit par : Christian | dimanche, 02 novembre 2008
Christian : merci, je vais voir sur un autre site si ce poème est écrit de la même manière.
Ariaga : merci, c'était il y a bien longtemps en effet.
Merci à vous deux.
Écrit par : elisabeth | dimanche, 02 novembre 2008
Très beau poème. J'aime beaucoup.
Amicalement.
Écrit par : Brigitte | dimanche, 02 novembre 2008
Tu as déjà mis des poèmes de cet auteur, il me semble...
Écrit par : laura | lundi, 03 novembre 2008
Je découvre un peu par hasard ton blog, et je découvre par la même occasion cet auteur ! Fort joli texte... j'adore. Je continue maintenant à surfer sur ton blog. Bizzzzzzzzzzzz normandes.
Écrit par : Abeilles50 | lundi, 03 novembre 2008
Cela me rappelle la légende de la Roche Pleureuse sur l'Ile aux Coudres (au Québec).
Joli poème, mais qui se lit «en plusieurs fois»... en plus de 4 siècles la langue française a tout de même évolué, et ma première impression est une certaine pesanteur.
Puis à la deuxième lecture je me laisse gagner par le charme désuet.
Finalement c'est comme pour les chansons nouvelles, il me faut les écouter trois fois pour me faire vraiment une idée...
Écrit par : sister for ever | mardi, 04 novembre 2008
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