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mardi, 24 octobre 2006

LA "FIN'AMOR"

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Au XIIe siècle naît en Languedoc, Auvergne, Limousin et Provence le grand élan de l'amour courtois. Avec sa conception très originale de la relation amoureuse, la "fin'amor".

Dans l'opulence des grandes cours du Midi d'un XIIe siècle inspiré, des poètes-chanteurs vont se mettre au service d'un nouvel ordre amoureux : la "fin'amor".

Amour raffiné, amour quête d'absolu, à jamais insatisfait puisqu'il exclut l'acte charnel.

La poésie du trobar, poésie libre, se déclame et se chante, s'organise en école, au rythme d'une étonnante mutation sociale. Les inventeurs -trobadors- vont propager leurs idées dans toute l'Europe à travers leurs interprètes, les joglars, et investir tous les domaines. Ils chantent leur Dame, mais critiquent aussi les rois, fustigent l'Inquisition. Ce grand vent libertaire donne naissance - et ce n'est pas le moindre de ses mérites - à une vision nouvelle de la femme, en rupture avec le passé : la chair impure, la peur de la féminité s'estompent pour quelques siècles. Sous l'influence de cette éducation sentimentale, la tentatrice, l'Eve fatale, la femme objet sexuel est transcendée : elle devient maîtresse raffinée. La Domna, la Dame de noble lignée, se fait inspiratrice, muse. Le projet de l'amour courtois est lumineux : "Plaire aux dames et les conquérir avec des mots, inventer les vers de la séduction avec les sous-entendus les plus imagés". (Gérard Zuccheto)

La fin'amor - c'est là que s'épanouit son chant lyrique, en partie influencé par l'ambiance cathare - se veut sublimation du désir, inachèvement de la conquête, idéalisation de l'amour charnel. L'amor, c'est l'éros supérieur qui transcende et élève l'âme. Il suppose chasteté. Ce "jeu subtil avec le désir contrarié" (Pierre Bec) s'appuie sur les leys d'amor, lois d'amour parfaitement codifiées qui reposent sur la joi (extase, allégresse, bonheur, jouissance), la cortezia (qui consiste à courtiser, honorer, se montrer gracieux) et la mezura (mesure, longue patience, ce qui purifie le désir).

Pudeur des sentiments certes, mais crudité des termes qui ne choquent pas dans une époque dénuée de puritarisme bourgeois : "jamais par amour du con/ Je n'ai demandé son amour à ma Dame/ Mais bien pour sa fraîche couleur/ Et sa bouche souriante/ Car je trouverais assez de cons/ Auprès de bien des femmes si je leur demandais/ C'est pourquoi je préfère la bouche que je baise souvent/ Au conin qui tue le désir..." poétise Raimont Rigaut.

medium_harpiste.jpgPour les amants courtois, l'amour est-il dans la joi du désir plutôt que dans la joi de l'assouvissement ? Qu'à cela ne tienne, la Dame va mettre son amant à l'épreuve d'un rite suprêmement tentateur, l'asag, pour éprouver la loyauté de son amour. Selon René Nelli, dans cette "cérémonie conforme à l'usage", l'amante va le convier à son bain ou l'inviter à s'étendre nu après d'elle. Rappelons qu'au Moyen Age le nu en soi n'est pas impudique, et bien connu est l'aspect convivial du bain privé. Dans l'asag, le bain donne accès au corps de la Dame tant désirée, qui devient objet de rêve érotique. C'est aussi un lieu de rendez-vous amoureux dont on trouve trace dans "Flamenca", le plus beau roman d'amour occitan du XIIe siècle. "Puisse-t-elle de corps non d'âme/ Me recevoir en secret dans sa chambre" rêve le troubadour Arnaut Daniel. Mais l'amant devra se suffire de reposer sur "le coussin (de ma poitrine) et de recevoir un bais amoros (baiser d'amour), s'enflamme la charmante contesse de Die, "pourvu seulement que vous me promettiez d'abord par serment de ne faire que ce que je voudrai". Des échanges sensuels, oui, mais toujours continents.

Si, dans cette épreuve, l' "union des coeurs" triomphe de celle des corps, l'amant, "mis au rand de preux", reçoit en gage d'amour un anneau d'or. Cette union sacrée se révèle indissoluble, la Dame règne sur son coeur et sur son âme. Le poète lui jure une éternelle fidélité, en vassal amoureux. La joi des troubadours ne dura, selon l'expression fleurie des Languedociens, que "le temps d'un déjeuner au soleil". A la fin du XIIIè siècle, l'Eglise rejetait la doctrine de l'amour courtois, selon elle incompatible avec le christianisme. Mais ce qu'elle voulut proscrire parce qu'elle lui échappait, c'est toute la subtilité d'un attachement à la fois affectif, érotique et spirituel, là ou l'Eglise ne reconnut jamais que le dichotomique désordre libertin/ordre conjugal.

Florence Quentin (Diplômée d'égyptologie. Journaliste et écrivain, elle a participé au recueil "Egyptes, de l'Ancien Empire à nos jours" - Maisonneuve et Larose, 1997)

23:05 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : Culture, amour

Commentaires

Bonjour Elisabeth et vous tous,
Merci de m'enrichir. Ton billet est exellent. Dès le matin, je me lève contente...
Gros bisous à tous et bonne journée
Marie Christine

Écrit par : Marie Christine | mercredi, 25 octobre 2006

Merci Elisabeth.
Bisous à toi

Écrit par : Geb | mercredi, 25 octobre 2006

moi je trouve cela magnifique l'amour courtois…

Écrit par : yoyostereo™ | mercredi, 25 octobre 2006

merci pour cette note très intéressante et merci pour tes commentaires
bonne journée

Écrit par : laura | mercredi, 25 octobre 2006

une partie de l'histoire,,de l'amour,,que j'ignorais,,,

merci elisabeth


bizz

Écrit par : monette | mercredi, 25 octobre 2006

Une reflexion tout de même sur ce poème que l'on ne pourrait plus écrire sans qu'il soit mis des pointillés et classé dans la catégorie porno. Comme quoi décidèment on avance à reculons. Cela dit il y avait l'hygiène et je me demande si j'aimerai faire tout ça à une femme qui ne se lavait peut-être pas tous les jours... sans compter l'état dentaire enfin (c'est valable pour les hommes bien entendu. Je vous laisse imaginer mesdames) bref il y a peut-être des situations ou l'amour courtois peut nous sauver du pire. Tu ne crois pas...

"jamais par amour du con/ Je n'ai demandé son amour à ma Dame/ Mais bien pour sa fraîche couleur/ Et sa bouche souriante/ Car je trouverais assez de cons/ Auprès de bien des femmes si je leur demandais/ C'est pourquoi je préfère la bouche que je baise souvent/ Au conin qui tue le désir..."

Bisous à toutes
Geb

Écrit par : Geb | mercredi, 25 octobre 2006

Un apercu tres interessant , merci elisabeth bonne journeé bises

Écrit par : estelle | mercredi, 25 octobre 2006

arrff enncore ce matin je n'arrive pas à envoyer mes coms grr

Écrit par : estelle | mercredi, 25 octobre 2006

René Nelli... bien sûr, bien sûr, Elisabeth !

Écrit par : Endora | jeudi, 26 octobre 2006

Merci Elisabeth de nous donner à lire ce très bon article qui résume bien le sujet. Le principe de l'asag m'était connu (il est aussi pratiqué en Inde) mais je ne connaissais pas le mot.

Geb : l'hygiène au Moyen Âge était meilleure qu'au siècle de Louis XIV, parce que justement le rapport au corps était relativement "naturel". Et la proximité de la culture musulmane, via l'Espagne, laisse supposer une hygiène plus raffinée dans ces régions médionales, fortement marquées auparavant par la civilisation gréco-romaine, elle aussi propice aux bains...

Écrit par : Arianil | jeudi, 26 octobre 2006

Merci pour vos commentaires, tous. Je pense qu'Arianil a raison : il fait très chaud dans le midi, au Moyen Age, on devait se baigner souvent, je parle de l'été...
Comme Yoyostéréo, je trouve que l'amour courtois est magnifique, mais de nos jours c'est extrêmement rare... peut être infime, si cela existe encore... en France, je précise.

Écrit par : elisabeth | jeudi, 26 octobre 2006

MOI JE VIS TOUS LES JOURS L AMOUR COURTOIS...

Écrit par : laura | mardi, 31 octobre 2006

Merci LAURA pour ton avalanche de commentaires, je ne conçois l'amour que courtoisement, comme toi.

Écrit par : ELISABETH | mardi, 31 octobre 2006

avalanche, c'est négatif?
tu es très prolixe aussi
il fallait que je rattrape mon retard...

Écrit par : laura | mercredi, 01 novembre 2006

Non avalanche n'est pas négatif, sauf les avalanches de neige.
Je sais que tu n'as pas toujours le temps LAURA, comme moi à certains moments. C'est pour cela que j'avais écrit la note LES BLOGS. Pour montrer que j'excuse tout le monde.

Écrit par : elisabeth | mercredi, 01 novembre 2006

Les commentaires sont fermés.