Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

dimanche, 19 mars 2006

LES SUBLIMES

En 1870, Denis POULOT, petit patron de la mécanique, publie un livre qui fera grand bruit.

Le SUBLIME ou le travailleur comme il est en 1870 et ce qu'il peut être, ZOLA en fera sa matière première pour écrire L'ASSOMMOIR.

 

Un ouvrier (Mr TISSERAND) avait écrit une chansonnette dont le refrain était :

Enfants de Dieu, créateur de la terre,

Accomplissons chacun notre métier

Le gai travail est la sainte prière

Qui plait à Dieu, ce sublime ouvrier.

 

Les mauvais ouvriers avaient tourné en dérision cette chanson moralisatrice qui exaltait le patriotisme, l'obéissance et la modestie. Ils avaient alors modifié le refrain pour en faire :

 

Fils de Dieu, créateur de la terre,

Accomplissons chacun notre métier

Le gai travail est la sainte prière

Ce qui plait à Dieu, c'est le SUBLIME ouvrier.

 

Pour les patrons, le message était clair. Ce n'était pas Dieu qui était "sublime", mais les ouvriers eux-mêmes, seuls créateurs de richesses par leur travail.

L'argot parisien avait rempli sa mission : tourner en dérision le pouvoir patronal, s'opposer à la discipline de l'atelier.

Il y a cent ans, 60 % des ouvriers à Paris étaient "sublimes".

Un an après la publication du livre de Denis POULOT éclatait la commune de Paris.

Les sublimes ont disparu de notre mémoire. L'histoire a un peu oublié ces ouvriers frondeurs, facétieux, volontiers célibataires, rebelles à l'autorité patronale mais amoureux du travail bien fait.

Notre connaissance du monde ouvrier du 19 ème siècle c'est la caserne où les ouvriers travaillent comme des "forçats" sous le fouet des "gardes chiourme".

Les premiers journaux socialistes portent des titres évocateurs : "La revanche du forçat" - "le cri du forçat" - "le réveil du forçat".

A Vierzon, le Directeur de la Société Française de Matériel Agricole se promenait dans les ateliers un révolver à la main et répétait souvent qu'il n'hésiterait pas à s'en servir si les ouvriers le menaçaient. A Rouen, le règlement précise : "est passible d'une amende de 0,25 f :

1°) l'ouvrier qui laissera traîner du déchet hors de son sac ou par terre ;

2°) celui qui se lavera ou coiffera ou cirera ses souliers à son métier avant le dernier quart d'heure qui précède la sortie ;

3°) celui qui se trouvera sans permission sur un point où son travail ne l'appelle pas."

 

Les toilettes sont surveillées. Il y a 70 ans, aux Usines Renault, la direction avait fait couper le bas des portes des WC pour mieux surprendre les "tire-au-flanc".

 Dans ces bagnes, on y entre de bonne heure, à 8 ou 9 ans.

Quand en 1841 de bonnes âmes proposèrent de réglementer le travail des enfants, le ministre du commerce déclara devant les députés : "l'admission des enfants dans les fabriques dès l'âge de 8 ans est pour les parents un moyen de surveillance, pour les enfants un commencement d'apprentissage, pour la famille une ressource."

 

La philosophie des "sublimes" se présente comme une forme de résistance à la pression des patrons qui veulent accroître les cadences, stimuler la productivité, mettre au pas chaque ouvrier.

1ère forme de résistance des "sublimes" au pouvoir patronal :

La mobilité.

L'ouvrier qualifié au 19 ème siècle à la bougeotte. Pour un rien  il change de "boîte". Sa raison de vivre est de changer continuellement de lieu.

2ème forme de résistance :

L'évasion, la liberté de disposer pour un temps de son temps, de refuser la cloche des usines.

Nombreux sont aussi les ouvriers qui commencent leur semaine le mardi. Quant aux grèves, près de la moitié d'entre elles ont lieu au printemps.

Les patrons ont beau frapper d'une amende ceux qui ne viennent pas travailler le lundi, rien n'y fait.

L'ouvrier est sûr de trouver dès le lendemain, s'il le veut, à s'embaucher dans la mine voisine.

3ème forme de résistance à la course au rendement et aux salaires de misère :

Les ficelles des sublimes.

L'ouvrier qualifié sent mieux que tout autre le poids de la conjoncture. Il a l'oeil sur son travail et un autre sur les stocks et les commandes à livrer. Les moindres fautes du patron sont mises à profit.

Si le patron convient d'un prix pour le montage ou le façonnage d'une machine, si le travail est aux 3/4 fait et si un "sublime" sait que son patron est en retard pour la livraison, il quitte aussitôt l'atelier avec la moitié de l'équipe. Que peut faire le patron ? Il sait bien qu'il ne peut compter sur les ouvriers "vrais", des "fayots" incapables d'exécuter un travail difficile. Il se résigne alors et accorde l'augmentation.

 

Il faudra attendre la fin du 19 ème siècle pour voir disparaitre les "sublimes". Ils seront nombreux à participer à la mise à mort de leur désir fou de liberté. Les patrons, la femme, le jardin, la maison achetée, tous concourent à les fixer.

Les syndicats, eux aussi, marqueront leur hostilité aux "sublimes", leur préférant des ouvriers disciplinés, responsables.

Les premiers journaux syndicaux désapprouveront la pratique du saint lundi.

En 1884, les syndicats étaient autorisés. C'en était fini du Sublime. Venait maintenant le temps des militants et des "responsables".

23:10 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (1)

Commentaires

Merci Elisabeth, pour ce gentil commentaire!
Bonne journée!

Écrit par : janus | mardi, 21 mars 2006

Les commentaires sont fermés.