samedi, 02 avril 2011
PIERROT MON AMI (Raymond QUENEAU) extrait.
La salle finit par se remplir et le rideau se leva sur tout un matériel de quincaillerie. Pierrot se trouvait également là, non moins figé que tout à l'heure. Lorsque le fakir entra, il croisa les bras sur la poitrine et s'inclina très profondément. Celui-là, de salut, je l'ai réussi, pensa-t-il. L'autre lui fit un signe. Pierrot d'un geste plein de soumission lui offrit une épingle à chapeau longue de cinquante centimètres que Crouïa-Bey s'enfonça dans la joue droite. La pointe ressortait par la bouche. Sur un nouveau signe, Pierrot lui tendit une nouvelle épingle qui s'en alla perforer l'autre joue. Une troisième épingle transperça encore une fois la joue droite, et ainsi de suite.
Absorbé par son travail, Pierrot ne fit tout d'abord guère attention à ce que devenaient les premières. Mais avant d'offrir la sixième, il leva les yeux. Dans un brouillard, il aperçut des espèces de dards d'acier qui émergeaient de la belle barbe du fakir. Il blémit. Il suivit des yeux la tige de la nouvelle épingle : elle s'éleva en l'air, et, lentement, après avoir percé la peau, pénétra dans la chair. Les yeux tout grands, Pierrot regardait ça, pâle d'horreur. Puis la pointe réapparut entre les deux lèvres. Pierrot ne put plus y tenir. Pierrot s'évanouit. Dans la salle, on se marait.
17:42 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : livre, littérature, écriture, queneau, société, cirque