dimanche, 18 février 2024
LA FERME LOUIS XIV
La ferme Louis XIV, qui se trouve à la sortie de ma ville de naissance (Landrecies), tous les habitants ou presque la connaissent. Elle se situe route de la Folie.
Le hameau de la Folie s'était développé au Moyen Age dans une zone marécageuse. On y planta alors des arbres consommant beaucoup d'eau, comme les bouleaux ou les peupliers. Le bruit du vent dans les feuilles fut nommé La Foliée, qui fut déformé ensuite en Folie.
A la limite du hameau coule un petit affluent de la Sambre, la Rivierette.
En 1670, une crue soudaine de la Rivierette obligea Louis XIV qui passait par là le 3 mai au soir, ainsi que toute sa suite, à faire une halte forcée. Tout le monde fut contraint de passer la nuit dans une ferme proche qui se nomme depuis "Le Louvre". Une plaque sur cette vieille ferme rappelle cet épisode.
"La journée du 3 avait été pénible. L'immense convoi était parti de Saint-Quentin pour Landrecies de très bonne heure, par une pluie battante qui faisait grossir à vue d'œil les cours d'eau et les marais. D'heure en heure, on enfonçait davantage dans les boues, et la route s'encombrait de chevaux et de mulets morts ou abattus, de charrettes embourbées et de bagages déchargés. Les carrosses ne tardèrent pas à se mettre de la partie. Le maréchal de Bellefonds abandonna le sien dans une fondrière et fit le reste de l'étape à pied avec Benserade et deux autres. M. de Crussol eut de l'eau par-dessus les portières en traversant la Sambre, et M. de Bouligneux qui le suivait fut contraint de dételer au milieu de la rivière et de se sauver sur l'un des chevaux. Quand on vint à la reine et à Mademoiselle, on eut beau les conduire à un autre gué fort sûr, leurs cris et leur agitation furent tels, que l'on renonça à les faire passer. Elles allèrent chercher un abri dans la seule habitation du rivage. C'était une pauvre maison, composée de deux pièces et n'ayant que la terre pour plancher. Mademoiselle s'enfonça jusqu'au genou dans un trou boueux. Landrecies était sur l'autre bord, la nuit tombait et chacun mourait de faim, car l'on n'avait presque rien eu à manger depuis Saint-Quentin. Le roi, très mécontent, déclara que tout le monde resterait là, et que l'on attendrait le jour dans les carrosses. Mademoiselle remonta dans le sien, mit son bonnet de nuit, sa robe de chambre mais elle ne put fermer l'œil, car c'était un bruit effroyable. Quelqu'un lui dit : Voilà le roi et la reine qui vont manger. Elle se fit porter telle quelle, à travers les bourbiers, dans la petite maison, et trouva la reine fort maussade. Marie-Thérèse n'avait pas de lit, et elle se lamentait, disant qu'elle serait malade si elle ne dormait point, et demandant où était le plaisir de voyages pareils ? Louis XIV mit le comble à son chagrin en proposant, de coucher toute la famille royale et quelques familières dans la plus grande des deux pièces, l'autre devant servir de quartier général à Lauzun : Voilà, disait le Roi, qu'on vient d'apporter des matelas ; Romecourt a un lit tout neuf sur quoi vous pourrez dormir. Quoi ! se récriait la reine, coucher tous ensemble, cela serait horrible ! — Quoi ! reprenait le roi, être sur des matelas tout habillés, il y a du mal ? Je n'y en trouve point. Mademoiselle, prise pour arbitre, n'y en trouva point non plus, et la reine céda. Cependant la ville de Landrecies avait envoyé à ses souverains un bouillon fort maigre, dont la mauvaise mine consterna Marie-Thérèse. Elle le refusa avec dépit. Quand il fut bien entendu qu'elle n'en voulait point, le roi et Mademoiselle, aidés de Monsieur et de Madame, l'expédièrent en un instant, et, dès qu'il n'y eut plus rien, la reine dit : J'en voulais, et l'on a tout mangé ! On allait rire, au mépris de l'étiquette, d'un grand plat venu aussi de Landrecies, et sur lequel on se jeta. Il y avait dedans, raconte Mademoiselle, des viandes si dures, que l'on prenait un poulet à deux par chaque cuisse et on avait peine en le tirant de toute sa force d'en venir à bout. Puis l'on se coucha. Ceux qui n'avaient pas encore leur bonnet de nuit et leur robe de chambre les mirent et c'est dans l'appareil d'Argan qu'il faut se représenter la royauté française pendant cette nuit mémorable. Au coin de la cheminée, sur le lit de Romecourt, était la reine, tournée de manière à regarder ce qui se passait : — Vous n'avez qu'à tenir votre rideau ouvert, disait le roi, vous nous verrez tous. Auprès de la reine, sur un matelas, étaient Mme de Béthune, sa dame d'atour, et Mme de Thianges, sœur de Mme de Montespan. Venaient ensuite, sur trois matelas se touchant faute de place, Monsieur et Madame, Louis XIV et la Grande Mademoiselle, Mlle de La Vallière et Mme de Montespan. Une duchesse, une marquise et une fille d'honneur se serraient sur un dernier matelas, placé en équerre, et des plus gênants pour le va-et-vient des officiers ayant affaire au quartier général, dans la pièce du fond. Par bonheur pour tout le monde, le roi finit par faire dire à Lauzun de pratiquer un trou dans le mur extérieur de sa chambre et de donner ses ordres par là. Le dortoir royal eut ainsi quelque tranquillité, et l'on put s'endormir. A quatre heures du matin, Louvois vint avertir que l'on avait fait un pont. Mademoiselle éveilla le roi, et chacun se leva. Ce ne fut pas un beau coup d'œil. Romecourt était lieutenant des gardes du roi. Il est évident qu'on les avait avec soi dans sa voiture, à tout événement. Les cheveux étaient pendants et les visages fripés. Mademoiselle se croyait moins défigurée que les autres, parce qu'elle se sentait très rouge, et elle s'en réjouissait, ne pouvant éviter d'être vue par Lauzun. La famille royale remonta en carrosse et s'en alla tout droit entendre la messe à Landrecies, après quoi ces augustes personnes se couchèrent, et dormirent une partie de la journée. Le soir même, à peine levée, Mademoiselle fut très grondée par Lauzun de ses peurs ridicules de l'eau. Cela lui fut très doux : c'était la première fois qu'il s'arrogeait pareille liberté, et les femmes très amoureuses commencent toujours par aimer le ton de maître..." (Louis XIV et La Grande Demoiselle,1652-1693 par Arvède BARINE, 1912).
22:59 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : histoire, louis xiv, roi, cour, voyages, landrecies, route de la folie, 1670