mardi, 28 octobre 2008
L'AME l'âge de nylon (Elsa TRIOLET)
(Nous sommes à l'Age de Nylon. Les enfants d'aujourd'hui commencent leur vie naturellement dans un monde qui stupéfie les générations précédentes. Christo, dix douze ans, appartient à l'ère cybernétique où la machine se met à avoir une vie propre, et c'est à partir de données mystérieuses que commence la quête de l'âme. Cela se passe dans un tiroir secret de Paris. Il y a là Nathalie et son mari Luigi-l'inventeur, propriétaire d'une petite usine de jouets mécaniques. Dans sa cave pleine d'automates, il essaye d'approcher l'homme artificiel. Nathalie règne, par la grâce de la bonté, dans son logis, lieu de passage, refuge des solitaires, des traqués. Bizarre milieu où un enfant se tient sur le seuil de l'inconnaissable.)
Si Christo n'était pas venu coucher dans la cave-resserre-sous-sol de Luigi Petracci, il n'aurait pas passé ses nuits seul, en compagnie d'automates, de billards mécaniques, d'appareils à sous, de juke-boxes, et de tout un matériel de bricolage : tournevis, pinces, clefs anglaises, lampes, fils et piles électriques, débris de verre, morceaux d'étoffe, tôle, coton, carton, ficelles, fil de fer, papier d'or et d'argent, têtes de poupées, avec et sans perruques, pieds et mains, bras et jambes en carton-pâte, en porcelaine... Seul entre quatre murs ... Il n'avait encore jamais été seul, ni de jour, ni de nuit. Il couchait avec P'tit et Mignonne, dans la même pièce, Mignonne derrière un paravent. Et le voilà seul, avec toute cette place, et tout ce silence ... Profond, grand, ténébreux même de jour, rien que ces quarts de fenêtres au ras du trottoir, avec la nuit le sous-sol perdait ses limites. Paillettes, tarlatanes, satins, se mettaient à briller d'un éclat théatral, clowns, musiciennes, danseuses, polichinelles, singes, oiseaux, prenaient des poses spectaculaires... Christo n'avait pas peur, ce n'étaient que des poupées, aussi sottes que celle de Mignonne, des hommes adroits leur avaient fait faire quelques mouvements qu'ils répétaient sans se lasser. Christo remontait des ressorts, mettait la prise des automates électriques, mais la répétition des mêmes gestes, le sourire, le regard, l'illusion figée, le mettaient vite dans un état d'étrange exaspération. Les premiers jours qu'il habitait chez Nathalie, il était très pâle et nerveux.
- Tu t'amuses trop avec les automates, devina Nathalie, infaillible, je parie que tu les fais marcher toute la nuit.
- Un peu ... reconnut Christo. Ils m'agacent.
- Alors n'y touche pas, nigaud ... dit Luigi, vexé.
C'est quant Luigi se mit à réparer devant lui la ronde des danseuses, pas plus grandes qu'une petite main, que tout le reste s'évanouit pour Christo. A partir de ces petites danseuses qui tournaient sur elles-mêmes dans un sens et puis dans l'autre au son d'une musiquette fine, toujours comme sur le point de s'arrêter, il avait mis la main dans l'engrenage. Tout le reste n'existait plus, plus rien que ces cames et ressorts, la façon dont tout cela s'enclenchait, s'entraînait, projetait, tournait, avançait, reculait, faisait basculer.
11:13 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature, écriture, livre, culture
Commentaires
J'admire mon mari qui sait démonter, réparer, remonter...
Écrit par : laura | mardi, 28 octobre 2008
C'est vrai que pour nous les femmes ces outils ne nous servent pas beaucoup.
Écrit par : elisabeth | mardi, 28 octobre 2008
Pourquoi pas?
Écrit par : laura | mercredi, 29 octobre 2008
Quand on est seule on est obligée de s'y mettre mais personnellement je laisse cela à mon mari quand il est là.
Écrit par : elisabeth | mercredi, 29 octobre 2008
Bonsoir Elisabeth,
Je ne sais pas pourquoi, mais ça me fait penser à Pinocchio!
Écrit par : Christian | mercredi, 29 octobre 2008
Christian : oui et je pense que bientôt c'est Noël, les enfants ne rêveront plus de ces jouets mais de consoles...
Écrit par : elisabeth | mercredi, 29 octobre 2008
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