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vendredi, 16 juillet 2021

AOUT 1914 (extrait du Journal de guerre de mon grand père Arthur)

Le 21 août, on reçoit des ordres. On doit
partir à Loison et on se met en route vers 6
heures du matin. Aussitôt sortis du village,
on prend les positions du combat en ordre
déployé, mais il n’y a rien. On prend la route
vers Longuyon-Louvrois et on doit aller
cantonner à Musson (Belgique). 
Au début, on nous distribue des trousses de
cartouches. J’en ai pour ma part 264
représentant ainsi 10 kilos. La route est
sinueuse, le terrain est accidenté. La brume
tombe. On encadre un groupe d’artillerie et
tout le corps d’armée suit. On commence à
fatiguer. Le long de la route avant
Longuyon, on voit l’éclipse de soleil (21 août
1914). On fait la grande halte mais on n’a
que 40 minutes pour faire le café. Les
Allemands sont passés avant nous et ont
tout pillé. Ils ont pris les chevaux des
cultivateurs, empêchant ainsi la fauchaison
des récoltes. On arrive à Longuyon vers
midi. La ville est coquette, gentille. Elle a
subi l’invasion allemande quelques jours.
Aussi les habitants sont-ils heureux de nous
voir. La ville est dans un bas fond et la
colonne remonte la côte de l’autre côté. Elle
est bien dure et on a chaud. Au bas passe la
voie ferrée, la Meuse. La ville se trouve
entre les deux hauteurs et le paysage est
beau. Les habitants nous font un accueil
enthousiaste. Ils nous offrent de la bière, du
café, du pain, du chocolat, des allumettes,
des cigares, du tabac, du sucre. Des jeunes
filles nous donnent des fleurs. On se dirige
vers Longwy. La côte est bien dure et
longue. On la monte péniblement. Depuis le
matin la canonnade se rapproche. Les
Allemands assiègent Longwy et réduisent la
ville depuis plusieurs jours mais elle tient et
ne se rendra que vers le 26 août. On
commence à rencontrer les premiers
immigrants. Avec cela la fatigue croît, on n’a
pas mangé et voilà 12 heures que l’on
marche sans repos. L’orage se déchaîne. La
pluie tombe. On arrive vers 7 heures à
Cosnes (Meurthe et Moselle). On signale les
boches. On passe dans un ravin où la
colonne se masse. Le 46ème est parti avant le
combat déjà et on voit les tirailleurs
repousser les Allemands à travers les
champs où la récolte est coupée. Tout à
coup on demande 2 Compagnies pour aider
le 46ème. On traverse le village et on y va.
On se déploie en tirailleurs dans les champs
bourbeux. La nuit tombe. En face de nous la
fusillade crépite vers un bois noir. Derrière
ce bois, le 46ème se bat à la baïonnette dans
le village. Sur notre droite, on perçoit le
bruit de leurs marmites se dirigeant sur
Longwy. La ville est en feu et à chaque
détonation du brasier immense, partout des
étincelles qui montent jusqu’au ciel. Les
flammes montent jusqu’aux nuages qui
passent vite et au bas c’est sinistre.
Tout à coup arrive un ordre : aider le 46ème à
prendre le village d’assaut. Terrible
angoisse. Mais au bout d’une demi-heure on
nous dit : « demi-tour ». On rentre. De
partout c’est un immense soulagement. On
part hâtivement malgré la nuit, la fatigue,
les guérets, la pluie. Nuit noire où on n’y
voit rien. 9 heures et demi : l’incendie est
sinistre. Halte, on se couche, on attend 10
heures, vagues cris insolites… dans les
champs d’avoine. Baïonnette au canon, des
patrouilles circulent. Tout à coup « Halt, wer
da ? ». C’est une sentinelle allemande qui
nous a entendus et qui nous lâche 3 balles.
On se couche complètement. On attend.
A 11 heures enfin on repart sur Cosne. On
rentre dans la nuit. On se couche exténués
après avoir fait 45 kms sans manger, levés
depuis 3 heures. On loge dans une grange.
Pendant ce temps la fermière nous fait une
soupe à l’oignon que l’on mange avec
avidité. Il pleut… on se met dans le foin et
l’on s’endort, la fatigue aidant, malgré nos
vêtements mouillés, pendant que les balles
tirées par des patrouilles sifflent et crépitent
sur les tuiles et les murs. Nous dormons
exténués. La fatigue a vaincu l’angoisse que
nous inspire le lendemain.
Ainsi le 5ème corps se heurtait à l’armée qui
envahissait le Luxembourg et qui occupait
Arlon et Virton depuis le 9 août. Cette
armée était composée de 4 corps d’armée et
était bien plus nombreuse que notre armée
composée des 4ème, 5ème et 6ème corps vers le
24 août.
Le général commandant le 5ème corps ainsi
que celui commandant la Division étaient
mis en disponibilité le 23 août, lendemain du
jour du 1er combat, pour avoir donné
l’offensive trop tôt ce qui a amené le
déclenchement de ce côté de cette lutte
terrible qui se poursuit encore actuellement.
Le 22 août : à 2 heures debout. Les balles
tombent toujours. L’émotion est très grande
dans la nuit. On part sur les hauteurs vers la
droite que nous occupions la veille. Longwy
brûle toujours. Des nuages rapides
emmenés par le vent déjà violent filent au
ciel vers le sud. Enfin l’aube vient, le ciel est
rouge. Dans les avoines, on n’observe rien.
Au loin quelques coups de fusil. Le petit jour
vient. Le 46ème aux avants-postes donne le
refrain. Les bois se dessinent toujours parmi
les champs d’avoine. La brume se lève,
matinale. Plus rien. On attend environ une
heure. Enfin l’ordre de partir en Belgique.
On part à travers les champs de trèfle et
d’avoine. La rosée tombe et pénètre dans
les souliers. On est arrivés à Romain. On
marche en colonne de Compagnies à travers
les champs. On arrête à 100 mètres du
pays. Halte. On se repose. On attend. Tout à
coup, les balles pleuvent. On se couche sur
le chemin. J’en profite pour me glisser
derrière un tas de cailloux. Plusieurs balles
tapent derrière moi sur le chemin et passent
en sifflant dans les orties dont est bordé le
chemin. Je bondis jusqu’à la 1ère maison et
je me mets à l’abri avec tous ceux qui y sont
déjà.
Les chefs ne savent plus, perdent la tête.
Pour comble on n’a pas d’éclaireurs.
Certains disent que c’est le 2ème bataillon qui
tire sur nous, d’autres le 46ème. On joue les
refrains des 2 régiments. Nouvelle grêle de
balles. Les gens se cachent dans les
avoines. La fusillade n’arrête pas. On se rue
dans les maisons et quand tout le monde est
rentré, là horreur ! Terrible méprise ! Le
46ème tirait sur nous. Cela nous a coûté 2
morts et 5 blessés restés sur le terrain. On
rassemble. Tout le monde est consterné.
Barnier et Arcault sont là pour toujours
enveloppés dans la mort. Nous avons reçu le
vrai baptême du feu par nos propres balles. 
Tout à coup en face : Ploc ! Ploc ! Ploc !
D’autres balles sifflent et ce sont des
boches ! Poubeau monte à la crête à environ
200 mètres du village et nous rapporte son
renseignement. On occupe les 1ères
maisons et les murs de jardins et du
cimetière, et on fait face à l’ennemi.
Plusieurs montent dans les greniers. Je les
suis, mais au moment de tirer par la
lucarne, une balle passe projetant le plâtre
du mur sur la figure, je sens qu’il ne faut
pas insister. Je redescends, je me mets au
mur avec d’autres et, de là, on tire sur les
boches qui paraissent à la crête. Mais
aussitôt ils sont nettoyés. Tous tombent.
C’est un enfer. Les balles sifflent de partout.
Un instant, ils sont descendus à mi-côte tout
près d’un noyer et d’une meule de paille et
on les oblige à remonter la côte sous notre
feu. Ils ne peuvent avancer. Une batterie se
met de la partie et on entend passer nos
obus qui fauchent derrière la crête les
tirailleurs venus des bois voisins. L’ennemi
hésite. Quelques Compagnies du 46ème
passent derrière nous et battent en retraite,
venant de la droite. Tout le monde part et il
ne reste plus au mur que le Lieutenant Kern
avec une dizaine d’hommes. Il nous supplie
de partir mais on n’entend rien. Le bruit est
épouvantable. Je tire sur ceux que je vois
mais je m’arrête bientôt car les cartouches
s’épuisent et je ne peux plus tenir mon fusil
qui me brûle les mains.
La Compagnie est partie par petits paquets.
Tous les officiers sont partis. Seuls au mur,
je reste avec Broquet, Desrosiers, Evrat et
quelques uns de ma section et, quand on
juge la situation intenable, on part chacun
de son côté. Je passe le jardin, saute le mur
et je gagne les champs. Je cours et à
chaque pas les balles me sifflent autour. Ils
me voient bien partir, mais chaque minute
m’éloigne d’eux. Je m’arrête à mi-chemin de
la route de Longuyon-Longwy derrière un
mur et, me croyant sans doute touché, ils
arrêtent leur tir.
Pendant ce temps, un tout petit groupe met
le feu à la première maison mais il est obligé
d’évacuer le pays balayé par les obus. Après
un instant de repos, je reprends la marche
vers une ferme où je retrouve Morlat avec le
cheval du Capitaine. Le 164ème est là aussi et
je reprends la marche vers Cosnes. Ainsi on
a tenu derrière ce petit mur, derrière lequel
j’étais presque sauvé et je ne pouvais m’en
aller. On y est resté de 4 à 12 heures avec
peu de pertes : 5 tués, 10 blessés et 10
disparus causant des pertes sérieuses au
régiment qui nous avait attaqués.
Le corps d’armée débordé bat en retraite
vers Longuyon.
Nous restons arrière-garde sur le terrain de
Cosnes que nous quittons vers 6 heures.
Pendant ce temps, les marmites tombent
sur le plateau et le ravin où s’est produit le
rassemblement du corps d’armée parti
depuis un moment et ils n’en sont pas
avares. La prairie est pleine de trous de ces
percutants et on dirait une immense
passoire. Nous quittons le terrain sans que
les boches semblent nous poursuivre. Le
Bataillon se rassemble avant Longuyon et on
bivouaque. Je ramasse quelques bottes de
paille et je m’étends harassé de fatigue. Je
mange une boite de singe avec des biscuits.
Malgré cela on dort quand même. Dans la
nuit on reçoit des obus de réserve et on
repart sur Longuyon. En route on rencontre
les premiers émigrants fuyant devant
l’invasion et le corps d’armée revient sur ses
pas à Bramont ou abandonne la route à
Longwy pour jeter sur la droite. Là,
l’artillerie se masse et son devoir va être
d’arrêter l’élan de l’Allemand. Nous battons
en retraite du côté de Saint Laurent (sur
Othain). Au fur et à mesure que les masses
allemandes arrivent, elles sont fauchées et
doivent rester sur place sans bouger.

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